L'apparition du tétrapode égaré.
Till Lindemann, chanteur de Rammstein.
Il y a de cela quelques instants, un cri perçant, entre rire
et douleur, charnu par sa profondeur et blême de peur, a transpercé ma journée
estivale. Affolé et en même temps déterminé face à cet accès de nervosité
inconnu, semble-t-il provenu du rez-de-chaussée, je me suis levé sûrement de
mon siège et suis sorti de ma chambre, afin de m'enquérir de la curieuse
situation. Celle-ci m'apparut limpide, après que j'eus hélé les protagonistes
éventuels du hurlement, tout en descendant les marches de mon escalier : face à
moi, la véranda abritait depuis peu un oiseau catastrophé de la taille d'une corneille ou
d'un merle - disons une tourterelle, prisonnier du labyrinthe miroitant des vitres,
tantôt ouvertes, tantôt inamovibles.
Après s'être débattu sauvagement durant quelques courtes secondes, l'être à
plumes s'était recroquevillé dans un coin de la pièce, guettant mes allées et
venues d'un œil curieux. Comme je compris rapidement et élémentairement que le
volatile n'avait aucune compétence pour différencier une vitre d'une absence de
vitre, je crus bon de m'armer, afin de le délivrer. Ainsi, j'ouvris la fenêtre
la plus proche de lui et tentai de l'y attirer doucement à l'aide d'un
balai-serpillère propre. Refusant obstinément de battre des ailes, scotché au
sol, il me décida par sa perspicacité à abandonner toute tentative lointaine
appuyée d'un outil quelconque. C'est donc avec mes deux mains seules et nues
que je pris la décision d'avancer vers lui, en dernier recours.
Au moment de toucher son plumage, une chose extraordinaire se produisit : alors
que toute logique humaine aurait voulu que l'oiseau s'envole, apeuré par ma
lourde présence auprès de lui, il se teint près à être recueilli, comme apaisé.
Soulagé par la connaissance de l'avenir libérateur que lui réservaient mes
mains ? Peut-être bien. Le soulever n'a en tout cas pas été difficile ; son
corps chaud était très agréable au toucher, son poids d'une majestueuse
insignifiance. De sa prise jusqu'à sa pose sur le rebord de la fenêtre, en
passant par sa douce ascension, l'animal ailé eut une attitude exemplaire.
Arrivé à quai, face aux bourrasques de vent et à l'atmosphère de son véritable
milieu naturel, il sut instantanément qu'il n'existait plus aucune barrière
vers sa complète liberté. L'oiseau prit son envol, après avoir eu la
délicatesse de me laisser le caresser une dernière fois. Dès son évaporation
dans les airs, j'aperçus qu'il m'avait encore laissé un dernier présent, et non
des moindres. Un présent à l'aspect lui aussi miroitant, que je dus
m'empresser de nettoyer.
Mais il était trop tard pour la frustration et le dégoût, un bonheur simple et essentiel m’avait déjà enveloppé.
Alfred Hitchcock