De l'ennui.

La Haine, de Mathieu Kassovitz.

Quelle poisse, de ne rien pouvoir faire. Toute l'année, pourtant, on rêve d'être libre de tout travail. On se voit affalé dans un fauteuil ou un transat, on frétille de plaisir rien qu'à l'idée d'une absence totale de responsabilité. On sue corps et âme durant nos derniers mois de labeur, grâce à notre tête remplie de rêves estivaux. chaque jour qui se clôt nous rapproche de cette période lointaine, pleine de rires et de chaleur. Mais lorsque le travail est fini, lorsque la page est définitivement tournée et que l'on entre enfin dans cet état de grâce qu'est l'été, on erre très rapidement. Après avoir usé jusqu'au trognon lecture, musique et autres loisirs vacanciers habituels, une chape de plomb s'abat sur l'être, transit. une lourdeur d'abord insaisissable, puis étouffante: celle qui noie les pensées, qui termine chaque réflexion par le même code inchangé: laisse tomber, arrête, calme-toi, reste sage, ne fais plus rien. L'ennui. L'ennui s'installe, dans chaque méandre corporel. il tue dans l'œuf toute idée nouvelle et laisse l'âme en état de léthargie, face à son outil de prédilection: la télévision. C'est alors elle qui avale toute créativité, qui asservit les cœurs et blesse profondément l'égo, si on écoute bien. Arrivé là, une seule idée émerge encore de nous : quand allons-nous enfin retravailler ?

Pourtant, l'ennui n'est ni un comble, ni un fléau. c'est une attitude à apprivoiser, à assimiler, à promulguer enfin. Car elle est peut-être l'ultime  et seule antithèse absolue de notre présent économisé et productivisé, où temps rime forcément avec perte ou profit. Savourer ne rien faire, voilà sûrement le combat le plus âpre de notre époque mondialisé et asservissante. Alors que toute action est aujourd'hui tournée vers la recherche d'un but, d'un objectif, d'une finalité pécuniaire, la véritable originalité serait de ne rien faire, pour rien. Faire quelque chose sans rechercher de bénéfice matériel est une idée devenue largement saugrenue, alors imaginons-nous ne rien faire volontairement ! Quelle honte, quelle déchéance, quelle terrible fin ! Pourquoi ? parce que ce serait du temps perdu, rendons-nous compte ! Perdu ? Mais pour qui, pour quoi ?

Voilà justement pourquoi je ne fais rien. Pour ne rien avoir à gagner.

The Big Lebowski, de Joel & Ethan Coen.